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Interview dans Challenges
Nana Mouskouri commente la crise grecque
Ancienne député européenne, la chanteuse grecque revient sur ce que vit le peuple grec, les causes de la crise et le rôle des politiques.
La Grèce traverse une crise majeure. Avez-vous des contacts réguliers avec certains dirigeants ? Y êtes-vous retournée récemment ?
Je me rends très régulièrement en Grèce. J'ai énormément de contacts et quelques amis en politique, mais pas majoritairement. N'ayant aucune fonction politique, ce n'est pas le milieu que je côtoie le plus. Mon action est plutôt basée sur le social.
Ce que je sais néanmoins, c'est qu'il y a toujours un manque de transparence sur ce qui se passe, même si de premières mesures viennent d'être officiellement annoncées.
Quels retours avez-vous de la population sur place ? Les gens gardent-ils espoir ?
Pour le moment, il faut encaisser le choc. Les gens ont été bercés par les promesses des politiques quasiment depuis l'instauration de la république constitutionnelle [en 1975, ndlr]. Et beaucoup ont maintenant un sentiment d'injustice. Ils n'acceptent pas d'avoir été trahis de la sorte et pendant si longtemps. Ils vivent avec une épée de Damoclès au-dessus de leur tête, sans savoir quel sera leur futur, même proche.
Cette angoisse se traduit par de nombreuses manifestations qui ont lieu partout dans le pays. D'ordinaire, je n'encourage pas à ce genre d'actions. Là non plus, mais je crois qu'on peut davantage les comprendre. Seulement, parfois, la machine s'emballe et fait ressurgir des arguments qui ne sont pas fondés. Je pense notamment à la haine véhiculée par une partie de la population à l'encontre de l'Allemagne [qui s'est montrée réservée au départ sur une aide à la Grèce, ndlr]. L'Allemagne n'est pas notre ennemie, bien au contraire. Mais c'est un bouc-émissaire idéal.
Vous pointez du doigt les politiques. Que montre cette crise finalement ? Quelles en sont les causes ?
Comme je le disais précédemment, les gouvernements n'ont cessé, depuis les années 1980, de faire des promesses complètement intenables à la population histoire de se faire élire. Cette crise est donc le résultat d'une crise générale. Le pays a vécu pendant des années sans connaître la vérité, au-dessus de ses moyens et en creusant sa dette qui atteint désormais des sommets. Le régime drastique auquel le pays va devoir se tenir aurait dû être commencé il y a bien longtemps.
Jusque-là, de mauvais dirigeants ont donné de mauvaises habitudes à leurs électeurs.
Qu'en est-il du gouvernement actuel ?
L'heure n'est pas aux règlements de comptes. Comme ses prédécesseurs, le gouvernement en place a abusé de promesses pour accéder au pouvoir et pratiquement aucune n'a été honorée en six mois de gouvernance. Mais puisqu'il est là, je crois qu'il est de notre devoir de le soutenir.
La faute à l'Union européenne aussi ?
Je suis une Européenne convaincue, et je suis certaine que l'adhésion de la Grèce à l'Europe a été une bonne chose pour le pays.
Cependant, quand j'ai siégé au Parlement européen, je me suis rendue compte que, trop souvent, l'UE n'était pas assez sévère quand les Etats membres refusaient ou tardaient à adopter et mettre en pratique ses lois. Ce manque d'autorité fait que, désormais, l'Union a des problèmes avec certains de ses enfants.
Dans le cas de la Grèce, peut-être l'UE aurait-elle davantage dû se battre pour contenir la spéculation qui est devenue le problème majeur du pays.
Comment expliquez-vous cela ?
Peut-être y a-t-il eu un problème de compréhension et d'adaptation au départ. L'Union n'a certainement pas assez essayé de comprendre comment fonctionnait cet Etat du Sud. Inversement, les Grecs ne voient en l'Europe qu'une machine à donner de l'argent.
De plus, les eurodéputés se battent généralement pour défendre les intérêts de leur pays et lui offrir ce dont il a besoin, parfois au détriment d'explications ludiques sur ce qu'est l'Europe et à quoi elle sert.
Parfois j'ai le sentiment que nous appartenons à l'Europe, tout en continuant à vivre individuellement. Au lieu d'apprendre à vivre ensemble.
Etes-vous malgré tout optimiste pour la suite ?
Oui, je suis optimiste de nature. Et, de toute façon, il le faut! Les Grecs sont un peuple fier et la Grèce n'est pas un pays suicidaire. Elle veut survivre.
Il faut revenir aux fondamentaux. On ne pourra rien construire sur des ruines, il faut d'abord tout assainir. Le pays va devoir se contraindre à une sévère discipline, à commencer par le gouvernement qui devra combattre avant tout les inégalités dans le pays. Il faut imposer des conditions plus sévères. Même si les gens vont souffrir au départ. Il va falloir que les Grecs apprennent à vivre avec ce qu'ils ont et pas avec ce qu'ils auraient aimé avoir et comme on le leur avait promis.
Les politiques pourraient d'ailleurs donner l'exemple, car ce n'est pas au peuple de payer tous les pots cassés. Dans un scénario utopique, on pourrait imaginer que les gouvernants renoncent à leur salaire. Ce serait un symbole fort.
Néanmoins, je trouve ça assez injuste que seule la Grèce soit ainsi pointée du doigt. D'autres pays rencontrent également des difficultés et nous ne savons pas ce qu'il va advenir des Etats de l'Est, notamment quand ils vont accéder à l'euro.
Propos recueillis par Chloé Dussapt, journaliste à Challenges.fr
(le vendredi 30 avril 2010)
Source : www.challenges.fr